Alors que les élections départementales viennent de se dérouler et que le projet de loi relatif à la protection des enfants doit être prochainement débattu à l’Assemblée nationale, la question de l’accompagnement des jeunes majeurs demeure d’actualité, d’autant que la crise sanitaire a fragilisé les plus vulnérables.

Dans le carnet de bord (18 juin 2021) qu’elle tient une fois par mois dans Le Média Social, Laura Izzo nous conte ce que « lâcher » veut dire pour des jeunes filles arrivées à majorité. Educatrice spécialisée dans un service d’Action éducative en milieu ouvert (AEMO), elle observe que des jeunes filles en très grande difficulté peuvent ne pas répondre aux critères qu’établit l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) pour conclure un contrat jeune majeur, alors qu’elles auraient besoin d’être accompagnés jusqu’à 21 ans.

Dans la dernière édition (2020) de L’aide et l’action sociale en France, une publication de la DREES, il est noté que « les actions éducatives peuvent concerner des jeunes majeurs, mais ces derniers ne constituent qu’une faible part des bénéficiaires. Si leur nombre a fortement augmenté de 2008 à 2011 (+29 %), il est, depuis, en baisse (-20 % entre 2011 et 2018). Fin 2018, 2 % des bénéficiaires d’une action éducative sont de jeunes majeurs, soit 2 700 personnes ». La hausse que l’on a observée de 2008 à 2011 est en grande partie liée à l’application de la circulaire DPJJ du 21 mars 2005 quand les crédits alloués par la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) au secteur associatif pour la prise en charge des jeunes majeurs sont passés de 114 millions d’euros en 2005 à 58 millions d’euros en 2007 et à moins de 16 millions d’euros en 2009. Le recentrage des missions de la PJJ sur les mineurs délinquants avait alors eu un effet de vase communicant en faveur des mesures d’action éducative à domicile (AED) pour jeunes majeurs que financent les départements. Notons que le taux de prise en charge des jeunes majeurs par une prestation ou mesure de milieu ouvert est faible, de six fois inférieur au taux de prise en charge en accueil.

Dans l’avis qu’elle a rendu sur le projet de loi relatif à la protection des enfants, la Défenseure des droits « considère que ne peut être améliorée la protection des enfants sans sécuriser l’accompagnement des jeunes majeurs dans leur accès à la vie d’adulte. La Défenseure des droits déplore ainsi que le projet de loi n’aborde pas la question des jeunes majeurs. Elle invite les parlementaires à enrichir ce texte en prévoyant la modification de l’article L.222-5 CASF, pour garantir la poursuite de la prise en charge ASE jusqu’à 21 ans si le jeune en fait la demande ou, a minima, jusqu’à la fin de la formation professionnelle engagée ou du cycle universitaire ou du parcours scolaire, et non plus seulement jusqu’à la fin de l’année scolaire en cours ».

L’espoir d’une intervention urgente de l’Etat

A la veille des élections départementales de 2021, le collectif Cause Majeur !, qui regroupe une trentaine d’associations nationales, collectifs et personnes qualifiées, a interpellé tous les candidats, convaincu que « Tout.e jeune en situation de vulnérabilité, notamment celles et ceux ayant bénéficié d’une mesure de protection de l’enfance administrative ou judiciaire, doit se voir proposer un projet d’accompagnement vers l’âge adulte, dans la continuité du projet personnalisé pour l’enfant. Cet accompagnement co-construit avec le jeune, doit être individualisé, évolutif et gradué, pour lui permettre de sortir de manière sécurisée de la protection de l’enfance en respectant ses besoins, sa temporalité, son degré d’autonomie et ses potentialités ».

Réagissant à la présentation du projet de loi relatif à la protection des enfants, l’Assemblée des Départements de France (ADF) a regretté « un projet de loi succinct, présenté en urgence… » et d’ajouter : « plus que des mesures prescriptives, les départements espèrent une intervention urgente de l’Etat. Ils réclament un grand plan en faveur de la psychiatrie, aujourd’hui exsangue. (…) Ils appellent de leurs vœux un renforcement des mesures à l’endroit des mineurs auteurs d’actes de délinquance. Ils demandent un soutien accru en faveur des maisons d’adolescents, tellement utiles ». En mettant l’accent sur des mesures que finance l’Etat, l’ADF a envoyé un signal au gouvernement : pas question d’envisager de nouvelles dépenses !

L’accès à la majorité ne peut pas constituer une date butoir pour ces jeunes. Un exemple pour s’en convaincre : selon la DREES, au 31 décembre 2018, 21% des jeunes majeurs étaient accueillis en familles d’accueil. Cela démontre une temporalité propre à ces jeunes accueillis et accompagnés dans le cadre de mesures d’ASE. Après des parcours de vie douloureux, parfois chaotiques, empreints d’’incertitudes, il faut considérer le passage vers la vie adulte selon des modalités singulières, respectueuses des besoins de jeunes adultes encore en construction et accepter qu’à 18 ans, ils relèvent d’un accompagnement spécifique avant d’entrer dans des dispositifs de droit commun. Rappelons que l’âge moyen de départ du foyer parental en 2018 est en France de 23,7 ans et de 26 ans pour l’ensemble des jeunes Européens (Eurostat, 2018).

Didier Bertrand, membre associé de l’AVVEJ

 

Pour aller plus loin sur ce sujet :