Depuis 2 ans, à la suite de la situation inédite liée à la crise sanitaire du COVID-19, le lien social a été mis à mal. Le foyer éducatif La Passerelle a dû, de fait, arrêter de créer et d’innover. Ainsi, nous avons été contraints de mettre en suspend notre projet des « causeries » et la richesse de ce qu’il peut se déployer dans chacune de ces rencontres.
Août 2022 : Une émission télévisée évoque le quotidien des quartiers : un sujet pertinent y est abordé « la prostitution des mineurs ». L’émission donnera la parole à Samuel Germelus à travers un extrait de son court-métrage. Tous ces éléments suscitent en moi le souhait de travailler avec lui. De l’audace, je n’en manque pas, car je crois en la richesse des rencontres ! Sans hésitation, je prends contact avec l’association Grignywood située à la Grande-borne à Grigny (91) pour créer une première rencontre avec le réalisateur Samuel Germelus.
Décembre 2022, nous nous rencontrons. Nous échangeons autour de son court-métrage « 5 étoiles » présenté dans l’émission « Pas de quartier ». Nous convenons que sans professionnels aguerris le sujet de la prostitution des mineures est bien trop difficile à aborder avec les jeunes dans le cadre d’un ciné-débats.
Notre collaboration se dessinera sur le chemin du retour. Samuel Germelus partage avec sincérité certains pans de son histoire, de son vécu, de ses expériences et de sa façon de percevoir la société. Ses mots sont inspirants. Il me vient en tête l’idée de relancer le projet des causeries et de proposer sa venue au groupe de travail composé de professionnels de l’institution.
Jeudi 9 février 2023, une journée pas comme les autres ou plutôt une journée comme les autres ! Nous sommes fin prêts pour recevoir Samuel et les jeunes. A 19h, je récupère notre invité à la gare de Juvisy-sur-Orge. Nous profiterons du trajet jusqu’à la salle pour parler de la rencontre, des jeunes et des projets. A 19h30, nous arriverons à Marolles : La salle Sylvie Rolland est pleine ! Samuel prend place. Tous les regards sont tournés vers lui. Après une prompte présentation, il prend la parole et réitère ses remerciements pour l’invitation. Sa voix calme et posée captive l’attention des jeunes. Ses parents sont originaires d’Haïti. Il grandit jusqu’à ses
12 ans à la campagne, au bout du monde, entouré de champs et de verdure. Il évoque le déséquilibre familial entre sa mère et son père, son déracinement de la campagne pour emménager dans le quartier de Grigny 2, mais également ses rêves, ses rencontres et ses choix. Il a vécu son déménagement dans la ville de Grigny comme un virage à 90 degrés qu’il mettra en scène, en 2017, dans son court-métrage « Arraché ».
Samuel revient et insiste plusieurs fois sur la différence d’environnement entre son village natal et la ville de Grigny : mettant en exergue l’absence d’espoir, de projets ou de réussite : « A Grigny tout est figé, tout est gris, tout est en béton, il n’y a que des barres d’immeubles et les jeunes qui errent dehors ». Samuel y découvre la rue, les immeubles et ses cages d’escaliers. Il obtient son baccalauréat mais sans perspective. Avec sa bande de copains, il élit domicile dans une cage d’escaliers et accepte de vendre du cannabis pour s’assurer une forme d’indépendance financière. Entre deux clients, Samuel fait le show ! Ses debriefings de séries et ses textes de chansons font du bruit. Il pourrait déranger le voisinage, mais au contraire, il inspire les autres qui s’arrêtent pour l’écouter conter ses histoires. Un aîné de l’immeuble, qui l’écoute tous les jours, perçoit en lui ses capacités et son potentiel. Il le poussera inlassablement à s’inscrire au pôle emploi pour trouver une formation.
Cette rencontre semble avoir été décisive pour Samuel. Un jour, sans vraiment comprendre pourquoi, il franchit la porte du pôle emploi et ose aborder ses rêves de cinéma. Son conseiller lui propose de suivre une formation à la Fémis, l’École Nationale Supérieure des Métiers de l’Image et du Son tout en lui indiquant qu’il serait rémunéré pour la suivre. Fini les sprints, les gardes à vue, les perquisitions, Samuel peut enfin souffler, se sentir libéré et découvrir ce qui lui plait en toute sérénité.
Samuel évoque son voyage à Miami. Un choc ! Une sorte de confrontation au réel inattendue. Riches et pauvreté cohabiteraient dans les mêmes quartiers. Il est confronté à une pauvreté et une délinquance, qu’il vit comme plus grande et plus dangereuse que celle de son quartier de Grigny. Son voyage se poursuit sur la terre de ses origines, à Haïti. Second choc ! Ce qu’il nomme comme la grande pauvreté est partout. Il découvre un pays dénué d’habitats durables, sans accès à la formation, sans aide médicale, sans travail… Sa représentation du monde en a été, semble-t-il, à jamais modifiée.
A son retour, par le biais d’un ami, Samuel fait la rencontre de l’association 1000 visages. Il réalise avec elle son premier court-métrage « Enjeu de rue » élu lauréat des Bourses à France télévision. Cette collaboration est le nouveau tournant de sa vie professionnelle : scénariste- réalisateur- producteur. Samuel devient entrepreneur individuel spécialisé dans le secteur de la production de films et de programmes pour la télévision : Courts-métrages, séries, clips… Il met toute son énergie au service de sa création.
Samuel termine son témoignage dans un silence laissé en suspens permettant à chacun de digérer ses propos et de les prendre à son compte. Les jeunes semblent face à eux-mêmes, à leurs doutes, à leurs histoires, à leurs éventuels rêves… Le temps est comme suspendu voire arrêté ! Un moment d’émotions avant de laisser place aux questions de la salle. Les plus jeunes comme les plus grands ont osé prendre la parole. Ils questionnent et cherchent à comprendre comment un parcours dans l’ombre de la délinquance peut s’illuminer et briller. Samuel prend le temps de répondre à chacune des questions qui lui sont posées avec une forme d’authenticité et de simplicité naturelles.
Avant de clôturer cette rencontre, nous avons réalisé une photo Polaroïd pour que Samuel puisse conserver un souvenir de ce moment « hors temps ». Lisa, une jeune fille, un peu dissipée pendant le témoignage, le lui a offert avec fierté.
Les « causeries » sont un temps de rencontre unique, magique, renversant voire envoutant, qui se situe hors du temps. Un temps où jeunes et professionnels sont ensemble, en suspend, du quotidien, accrochés à la parole, aux mots et à l’histoire de vie de l’intervenant !
Merci Samuel, ce soir-là, les jeunes sont repartis sur leur pavillon avec des étoiles dans les yeux et des rêves plein la tête.
Nadia Bouvier, groupe de travail Les Causeries