C’est dans le cadre des 34èmes journées de l’API que nous avons été amenés à produire cet écrit. Paraphrase de la formule de D.W.Winnicott, le titre de ces journées d’étude prend une dimension particulière pour nous, professionnels d’un service de la protection de l’enfance dont la mission est d’accueillir des adolescents dits en très grandes difficultés au sein d’un dispositif institutionnel de placement qui se veut alternatif par essence. S’autoriser à penser l’énoncé inspiré de l’œuvre winnicottienne, c’est œuvrer en faveur d’une réflexion autour de la prise en charge des jeunes ayant des troubles qui relèvent de la pédopsychiatrie, dans un service qui a pour mission première la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger. Comment penser la notion de prise en charge dans une perspective moins partielle, et plus globale afin de favoriser les soins à apporter au jeune dans le cadre de sa protection ? C’est en substance, le questionnement qui n’a de cesse d’orienter notre travail au sein du dispositif La Mètis dont le nom grec fait référence à cette forme particulière d’intelligence, « rusée, assez prompte et souple, assez retorse et trompeuse pour faire face chaque fois à l’imprévu, parer aux circonstances les plus changeantes et l’emporter, dans des combats inégaux, sur les adversaires les mieux armés pour l’épreuve de force » (Detienne & Vernant, 1992, p.52). Ainsi orienté par cette notion philosophique, dont le sens s’est progressivement perdu avec le temps, chaque jour nous invite à créer les circonstances favorables pour nous hisser à la hauteur de notre mission.
De l’alternative au placement … Au placement alternatif
L’Association Vers la Vie et l’Éducation des Jeunes (AVVEJ) est née de la rencontre de l’éducation populaire et de la psychanalyse. Sa structure, Rencontre 93 est un établissement atypique et original, qui s’inscrit à la fois sur le champ de la prévention parfois précoce et de la protection de l’enfance. Différents publics (enfants, adolescents et jeunes majeurs, parents et familles) s’y côtoient. Notre projet s’inscrit en opposition aux « microstructures » avec « renforcement éducatif », ou aux prises en charge individuelles qui ont le plus souvent des effets délétères sur le long terme. Nous accueillons des enfants éprouvés par de multiples ruptures tant au sein de leur famille que dans différents suivis dont ils sont devenus l’objet ; ils souffrent d’angoisse d’abandon, de troubles du lien et de l’attachement, et de conduites à risques. En 2019, nous avons accompagné 20 enfants et adolescents âgés de 11 à 20 ans. Dix d’entre eux avaient un traitement médicamenteux pour des problèmes psychiques, 13 avaient déjà été hospitalisés en pédopsychiatrie, 10 avaient un dossier MDPH instruit ou en cours et 12 avaient une double mesure ASE/PJJ5.
Rencontre 93 est un lieu où l’on ose une expérience innovante propice à « créer des circonstances » (Deligny, 1998, p.21), en proposant un cadre à la fois contenant et métaphorique, où chacun peut trouver une place parmi les autres. Ces « circonstances » s’appuient sur des médiations éducatives, artistiques et culturelles. Nous mettons la créativité au cœur de notre prise en charge et privilégions l’accompagnement global, social, familial, judiciaire et thérapeutique. Convaincus que nous ne sommes rien seuls, nous luttons quotidiennement contre le repli sur nous-mêmes, cet entre soi. Face au placement, nous mettons en œuvre une clinique et une pédagogie du déplacement, de la médiation, du mouvement. La psychanalyse, la clinique du trauma et une approche systémique fondent notre référentiel commun. Cependant, l’intérêt porté à la psychosociologie, l’approche contextuelle ou même la médiation nous invitent à une ouverture accrue à de nouvelles grilles de lecture et d’analyse. Les psychologues de Rencontre 93 tiennent une place importante auprès des équipes éducatives et participent à la vie quotidienne de l’établissement. La temporalité de la prise en charge, qui provoque parfois de vives tensions avec les partenaires concernant les contrats jeunes majeurs, est un de nos axes militants. En effet, comment demander à un adolescent en difficulté sans étayage familial de s’insérer vite et de façon qualitative à 18 ans, alors que les jeunes dans un contexte familial qu’on peut dire classique accèdent à une autonomie de plus en plus tardivement ?
« Tenir sans retenir ; ensemble »
L’expérience de l’adolescence prouve que, même quand le jeune est suffisamment bien entouré, la situation évolue avec le temps. Nous avons été très surpris de revoir quelques années plus tard un « ancien jeune » que nous avions autrefois pris en charge. Devenu adulte, parent, il nous rappelle des anecdotes, des situations de crise, et combien il nous en a fait « baver ». Il insistera sur le fait que nous n’avons pas changé sa vie. Il nous remerciera cependant d’avoir ensemble « tenu bon ». Nous sommes des parenthèses, « parent’aise » – dans la vie des publics que nous accompagnons. Nous laissons sans doute des empreintes, des traces, mais surtout nous sommes présents pendant une durée donnée, nous permettons au temps de faire son œuvre. Après la pluie vient le beau temps, après la crise l’apaisement et la stabilisation : crise, rupture et dépassement (Kaes R., 2001).
L’accueil dans le cadre d’un placement a une fonction séparatrice qui permet de marquer la loi et souvent, de se repositionner. Le placement peut en revanche représenter en lui-même une violence institutionnelle durable. Pour nous, la résistance aux demandes inappropriées et diverses formes de contenance se font dans le cadre d’un accueil et d’un accompagnement inconditionnel, sans possibilité d’exclusion pour l’enfant placé, dans une démarche explicitement tournée vers l’espoir et cela nécessite une confiance et une articulation entre les services éducatifs, médico-éducatifs et psychiatriques. L’alternance de séquences différentes permet à chacun de prendre une certaine distance, et au sujet de pouvoir expérimenter et gérer l’angoisse d’abandon et la séparation. Nos prises en charge ne peuvent s’inscrire que dans la durée, et le rythme impulsé structure cette durée en lui donnant du sens. Depuis une dizaine d’années, dans le secteur de la protection de l’enfance, nous assistons à l’émergence de structures privées à but lucratif : pour faire face à notre impuissance face aux jeunes que nous n’arrivons pas à accompagner, l’ASE et le secteur habilité associatif fait appel à des sociétés d’intérim spécialisées qui missionnent des éducateurs pour « des prises en charges individuelles », souvent à l’hôtel ou en appartement, qui restent 24h/24h en coprésence avec les jeunes. Interim du social ? Premier paradoxe et non-sens, alors que nous savons que la clef de voûte de notre action repose sur la stabilité et la durée. Pour un coût exorbitant (parfois jusqu’à 1000 euros par jour), les jeunes sont pris en charge par des éducateurs souvent en double emploi, ou en situation précaire, qui proposent un accompagnement fondé sur la surveillance et la contention. Comment un adolescent de 15 ans peut-il s’épanouir dans un hôtel, avec une équipe d’adultes où le turn-over est très important, qui se relaient 24h/ 24H ? Face à cette privatisation du travail social et cette « sous-traitance » du travail éducatif, le département de Seine-Saint-Denis a lancé un appel à projet en 2016. Nous avons répondu de façon originale en étant les seuls à proposer, avec notre projet d’accueil familial, là où les autres fonctionnent en créant des « microstructures ».
Nous avons donc créé il y a trois ans un nouveau service pour les jeunes dits « incasables » : nous avons imaginé et mis en œuvre un dispositif original d’accueil familial autour de trois espaces différenciés mais intrinsèquement liés. Nous disposons d’une part de deux espaces d’accueil familial avec des professionnels expérimentés dans le champ de l’adolescence (sept maisons en Seine-Saint-Denis et une en Normandie). Nous avons d’autre part mis en place un espace « d’accordage » dans lequel quatre professionnels formés à la médiation, à l’approche systémique, à la psychanalyse, assurent une fonction de coordination (justice, éducation nationale, famille, psychiatrie etc.), mais également de recherche et de développement des relations familiales et sociales du jeune, et de soutien des assistants familiaux qui restent la figure d’autorité et de référence principale pour les jeunes dans leur quotidien.
L’aide sociale à l’enfance souffre d’un manque de moyens, dans l’imaginaire collectif, elle représente l’instance qui retire l’enfant de son environnement familial : « la DDASS ». Comment cette instance, responsable du placement des enfants loin de leur famille, pourrait-elle travailler la restructuration des liens familiaux ? C’est pour résoudre ce problème que nous faisons intervenir les accordeurs : ils jouent un rôle de tiers médiateur entre les institutions, les jeunes et les familles. Ils opèrent dans un espace tiers et avec une vision globale de la famille et des figures d’attachement : grâce à leur action, un jeune va retrouver une grand-mère au Sénégal, ou une famille d’accueil en Bretagne, ce qui lui permettra d’être accueilli de manière plus stable, offrant les conditions favorables à une construction de son identité. Nous tentons, autant que faire se peut, d’entrer en contact avec les membres de la famille élargie afin d’en faire, quand cela est possible, des personnes ressources.
Enfin, nous avons mis en place un autre espace de médiation, composé d’artisans, sportifs et artistes, qui permet aux jeunes de s’exprimer différemment et de rencontrer, parfois pour la première fois des professionnels qui ne sont pas issus du champ éducatif.
Les jeunes sont accueillis en famille d’accueil, chez des assistants familiaux qui habitent une maison de fonction aménagée de sorte qu’espaces privés du jeune, espace de la famille et espaces communs soient au mieux délimités ; les assistants familiaux sont accompagnés à la demande et au quotidien par une équipe d’accordeurs et de psychologues pour répondre au mieux aux besoins, tensions et mouvements contrariés du jeune accueilli en premier lieu en situation de crise et de désarroi. L’engagement qui est pris est le remaniement pensable des liens et de l’attachement et de la confiance au cœur d’une autre famille que la sienne, une grande famille, celle de la maisonnée où il habite conjuguée à celle de La Métis et de Rencontre 93 et aux liens renouvelés avec sa parentèle.
Pour nous, un espace thérapeutique tiers est la garantie de limiter les risques de rupture, et de fournir un espace confidentiel, où les symptômes du placement peuvent être travaillés. Dès lors, les Centre Médicaux Psychologiques, Maisons des Adolescents et autres structures de pédopsychiatrie deviennent essentiels Le maillage que nous mettons en place permet au jeune de s’ouvrir à d’autres perspectives, dont, principalement la sortie de notre structure au moment opportun, car le but de notre accompagnement est toujours la fin de celui-ci.
À La Métis, nous avons la chance de co-construire le projet de soin des jeunes que nous accompagnons avec les soignants. Nous avons à plusieurs reprises pu maintenir notre espace de médiation pendant une hospitalisation et affiner les modalités de notre accompagnement : visite quotidienne avec la famille si nécessaire, possibilité de proposer un « sas », « une mise au vert », à la sortie de chaque hospitalisation avant le retour sur le lieu de vie. Nous pensons que la place de « l’accompagnant » pendant l’hospitalisation mériterait d’être repensée concernant les jeunes placés n’ayant pas ou plus de liens familiaux. De secteur d’hospitalisation en secteur d’hospitalisation, nous avons créé un lien avec les soignants, les médecins, et avançons vers une pratique commune… Il a fallu que les médecins rassurent les équipes éducatives, par exemple concernant des séances de sismothérapie pour une jeune fille de 15 ans. Puis à notre tour, nous avons dû rassurer les médecins, lors de l’hospitalisation d’un jeune majeur, diagnostiqué psychopathe par 4 psychiatres différents, le médecin-chef demandant alors de notre part la garantie que nous n’allions pas « abandonner » le jeune au Centre d’Accueil et de Crise. Nombreux sont les services comme ayant vécu l’expérience de jeunes majeurs, « déposés » par des éducateurs, faute de solutions et de moyens. La structure de soin est considérée comme l’antichambre de la rue.
Les limites de la protection de l’enfance sont donc parfois celles de l’entrée en psychiatrie : la peur, le sentiment d’impuissance, le manque de connaissance de la psychiatrie conduisent parfois les éducateurs à une impasse pour la personne accompagnée. Nous avons besoin d’être rassurés face à la folie, nous exigeons des diagnostics, ce qui est le plus souvent un non-sens s’agissant d’adolescents. Nous, travailleurs sociaux en protection de l’enfance, voulons que la médecine soigne et guérisse. A contrario, à l’heure de la tarification à l’acte et de la dernière étape du plan de destruction de l’hôpital public, nous nous retrouvons parfois face à une institution malade, qui se voit toujours toute-puissante vis-à-vis des patients, alors qu’elle n’a plus de moyens pour les soigner efficacement, et qui peut exiger la présence de parents fragiles et clivés, ou plus simplement qui travaillent, pour signer tel ou tel document, trois fois par jour… Un autre service exigera que le jeune montre patte blanche avant et pendant son hospitalisation et soit en adhésion avec le projet d’hospitalisation. Il faudra un jour un Curriculum Vitae et une lettre de motivation pour intégrer une unité d’hospitalisation… La tension est palpable à l’hôpital et se cristallise malheureusement souvent autour de la décision de sortie d’hospitalisation, « justifiée médicalement » mais en réalité prise parce que la place doit être libérée pour un autre patient. Nous pensons que l’accueil et la sortie d’hospitalisation sont des étapes charnières. Il est essentiel d’établir une relation de confiance réciproque avec les personnels de l’hôpital pour réussir ces moments.
La première étape est celle de la rencontre et la confrontation des représentations réciproques. Nos équipes luttent contre la représentation de l’hôpital qui « garde » le « fou » indéfiniment, jusqu’à ce qu’il aille « bien ». Tout comme l’amélioration et la stabilisation de la santé psychique de l’adolescent, la confiance et le faire ensemble avec la psychiatrie exigent du temps, de la pratique, de la souplesse, de la contenance, … et du conflit ! Il y a tant de situations différentes, de jeunes différents. Nous, médecins, soignants, psychologues, éducateurs, artistes, assistants familiaux, sommes périodiquement confrontés à nos limites et notre impuissance. Cela nous doit nous conduire à la parallaxe, à développer la patience et à nourrir l’espoir, dans ce double mouvement, mortifère et vers la vie… L’accompagnement dans la décompensation, la prise de risque, l’accompagnement pour les “injections à effet retard” pour des mineurs deviennent alors notre pratique quotidienne, la dérogation devient la norme. Les mouvements d’équipe, entraînent une « déliaison pathologique des liens » (Pinel, 1996, p.48) constante avec laquelle il faut composer.
Cette méthode fondée sur le pluralisme, la médiation, le dynamisme des propositions et l’audace des confrontations nécessaires, est-elle efficace dans tous les cas ? Certes non ; mais elle nous semble répondre à l’esprit de recherche, d’insouciance et de défi, souvent excessif qui caractérise la jeunesse. Elle offre donc un cadre possible à l’espoir et à la vie, à condition bien sûr qu’en tant qu’adultes nous « tenions » notre place. Et c’est en ce sens qu’elle exige un maximum de travail et de retour réflexif sur nos pratiques respectives.
« Tenir sans retenir ; ensemble » est la maxime de notre engagement. Le Mètis représente et met en œuvre la transversalité des pratiques et fait vivre tant l’alternative au placement que le placement alternatif.
L’écrit, comme don qui inaugure à la rencontre …
L’affirmation bien connue de D.W.Winnicott (1943) : « un bébé seul, ça n’existe pas » signifie qu’un nourrisson ne peut exister sans sa mère ou une suppléance maternelle qui en prend soin tant au niveau somatique que psychique. C’est en évitant l’écueil d’une confusion des places, que nous engageons notre travail afin de créer les conditions favorables pour « sup’porter » le jeune, au sens du holding winnicottien, c’est à dire l’aptitude au portage tant physique que psychique du jeune accueilli. Nous nous mettons en posture d’être cet Autre secourable, dans le même temps familier et étranger : Le Nebenmensch (Freud, 1895, p.375), symboliquement cet « être humain proche » ou encore « l’être humain d’à côté » capable de reconnaître l’altérité et l’identité. Celui appelé à soutenir quelque chose d’une condition subjective en lui octroyant le droit, dans la sollicitude, de « faire partie d’une communauté humaine car une place lui a été faite » (Baligand, 2013, p.64). Une place d’autant plus importante à offrir à cette jeunesse, exclue du jeu social et des institutions, du fait de problématiques existentielles dont l’expression à jusqu’alors pris la forme du ravage.
« Un enfant ou un adolescent seul, ça n’existe pas » non plus. Et, c’est en partant de ce postulat que nous pensons essentiel à l’accueil d’un jeune, et dans une perspective de « premiers soins » de nous engager dans ce qui nous semble être un préalable : la consultation des écrits relatifs à son parcours de vie et de prise en charge à l’ASE7. En effet, dans le cadre de nos missions, nous sommes amenés à consulter les dossiers des jeunes au tribunal pour enfants de Bobigny.
Nous avons été particulièrement alertés à la lecture de certains de ces dossiers puisque dans bien des cas nous nous sommes aperçus qu’il y avait eu des omissions, des suppressions ou déformations de faits majeurs. Autant d’éléments anamnestiques qui, s’ils avaient été portés à la connaissance de l’ensemble des professionnels, auraient grandement facilité l’élaboration, la construction et l’orientation de la prise en charge en venant fournir un éclairage indispensable pour pouvoir travailler avec lui, la question du soin, de l’acte thérapeutique. Nous aimons présenter cette démarche comme un exercice archéologique qui permet de penser le jeune, la genèse de son placement, de son histoire familiale et la prise en charge qui pourrait lui être le plus favorable. Cet exercice archéologique prend la forme d’un travail de recherche, de rassemblement, reliure et maillage au profit de ces jeunes en très grandes souffrances identitaires qui ont pour point commun des parcours de vie qu’on peut dire chaotiques, voire traumatiques et toujours jalonnés de très grandes souffrances.
Consulter les écrits conservés au Tribunal pour Enfants permet de trouver, ou bien retrouver pourrions-nous dire, ce que le temps, et la multiplicité des prises en charge, a pu faire oublier. Ce travail de mémoire ouvre à des vestiges, ce qui reste du temps et de son œuvre, dans un processus de subjectivation qui permet d’inscrire l’investigation dans un lien à l’autre, une relation subjective. Ce travail, tout en faisant exister le jeune en tant qu’Autre, permet d’anticiper la manière dont nous l’accompagnerons dans ses mouvements psychiques. Ce don inaugural se matérialise dans le Réel par un écrit synthétique et devient lieu d’inscription, de liaison et d’un possible accordage des professionnels, réponse au processus adolescent de déliaison. Aussi, comme un recueil rétrospectif, le rapport qui résulte de la consultation de dossiers ouvre à des pistes de réflexion autour de l’origine du symptôme et sa construction. Ce travail d’évaluation, comme étayage qui n’a pas pour autant la prétention d’être un travail d’expertise vient néanmoins dire quelque chose du mode d’être-au-monde de l’adolescent, de son fonctionnement psychique.
C’est fort de ces constatations que nous soutenons qu’ « un pédopsychiatre seul, ça n’existe pas ! ». En effet, nous considérons le soin pédopsychiatrique comme un axe de travail clinique partagé, qui ouvre à la nécessité d’une mise en dialogue entre les différents champs professionnels, conceptuels et théoriques. C’est aussi la question même de l’organisation territoriale de l’action en faveur du jeune qui nous semble de facto soulevée par cette affirmation car l’enfant ou l’adolescent, sujet d’une prise en charge pédopsychiatrique « appelle à la mobilisation des différents corps de professionnels en mesure de traiter les aspects de cette problématique relative à leur champ de compétence. Les uns viennent éclairer des aspects de la situation et permettre aux autres une décentration des failles attaquées les concernant directement » (Libeau Mousset, 2008, p.72).
Le temps précieux d’une concertation, qui manque souvent dans les services dédiés à la protection de l’enfance, le temps d’une élaboration collégiale avec les différents acteurs qui concourent parfois depuis de nombreuses années à la prise en charge d’un même jeune. Un espace pour le penser ensemble, dans sa subjectivité, la singularité de son histoire afin qu’il puisse notamment s’autoriser un jour à se penser lui-même. Même si, « leur temporalité n’est pas la nôtre : puissent toutefois ces temporalités se rencontrer et s’harmoniser »8.
Nous avons aujourd’hui la conviction qu’il s’agit pour nous, en tant que professionnels et acteurs de terrain qui nous orientons du vivant, d’œuvrer en faveur de ces temps communs d’élaboration entres les institutions afin de borner le registre de nos interventions respectives face à ces jeunes toujours en bordure des dispositifs. Comme Claire Brisset vient à le réaffirmer, dès lors que nous travaillons avec des adolescents ayant des troubles psychiques, nous ne pouvons faire l’économie « d’organisation concertée » entres institutions au risque de fonctionner dans une logique propre, qui expose tant le jeune que les institutions à de graves difficultés. Temps de concertation indispensable pour penser ensemble l’articulation créative d’une prise en charge qui se voudrait « suffisamment bonne » (Winnicott, The good-enough mother, 1963).
Anaïs Fadugba, psychologue et David Frayssé, Directeur adjoint