Très tôt dans l’année, l’idée d’organiser un séjour sur l’île de Bréhat germe chez certains éducateurs. Régulièrement, des transferts ont lieu en bungalows, gites, auberge de jeunesse. Mais cette fois, le projet est d’aller en camping ! Sous toile de tente et au camping municipal de Bréhat qui est loin d’être tout confort !
Le projet est écrit par les éducateurs, le programme est attractif : visites des 7 îles sur un voilier traditionnel, un langoustier « le sant C’hireg » dont Denis Le Bras est le capitaine, des balades à pied et en vélo, du kayak de mer, de la voile, le festival des Hortensias de Perros Guirrec… De nombreux jeunes sont partants pour cette aventure mais il n’y a que 12 places. Dès le mois de mars, les trois éducateurs « accompagnateurs » se chargent de constituer le groupe, d’apprendre aux jeunes à nager, de réunir le matériel….
Je prends le relais des éducateurs pour l’organisation générale (budget, réservation….) Mille détails techniques sont à régler et le camping est fermé pendant l’hiver, c’est donc avec la mairie de Bréhat que je corresponds et avec la personne des services généraux, un breton bien bourru peu enclin à nous faciliter la tâche ! Au fil de nos échanges, mes inquiétudes augmentent… Pas de gaz sur l’île, pas de possibilité de mettre une grande tente, ni d’avoir une grande table ou des chaises, pas de livraison de matériels avant le début du séjour, pas d’électricité dans les sanitaires, pas de possibilité de recharger les téléphones portables, « même un seul, le téléphone du service ? » « nan» ! A toutes mes questions, une seule réponse : nan !
Mes tentatives de communiquer avec une autre personne sont vaines car la secrétaire de mairie fait brillamment barrage. Heureusement, les commerçants de l’île sont là et grâce à eux, nous arrivons à nous faire une idée plus précise des conditions d’accueil. Après hésitation, nous maintenons le projet Koh-Lanta breton en essayant de ne pas penser à la météo.
Le camping ouvrira avec quelques jours de retard mais quelle surprise en entendant au téléphone, une charmante voix : « camping municipal de Bréhat, bonjour, Céline à votre service «Et là, tout devient simple ! Nous faisons livrer une tente marabout pour entreposer le matériel de cuisine et pouvoir y manger s’il pleut, une petite carriole sera à notre disposition pour aller faire les courses au bourg, elle nous installe près du barbecue, elle pourra recharger nos portables dans son bureau…. Et même les sanitaires sont éclairés, c’est Noël ! Le départ a lieu le 20 juillet, je laisse le soin aux éducateurs de raconter leur séjour.
Cinq mois avant le départ, les éducateurs encadrant se sont déplacés sur chaque structure pour exposer le projet et trouver des jeunes volontaires pour y participer. Nous avons choisi de ne pas employer le terme de « séjour » et lui avons préféré celui de « Voyage » dans lequel la notion d’engagement personnel nous a semblé plus évidente. Ce terme associé à l’idée de partir sur une île a favorisé la mise en route de l’imaginaire de chacun, le sentiment général de se préparer à vivre une Aventure. L’accent a été mis sur le fait que nous partions à la découverte d’une culture régionale différente de celle à laquelle nous sommes confrontés en région parisienne. L’exposition même de ce contexte a eu pour effet d’installer un certain mystère que, d’ailleurs, la majorité des jeunes a souhaité préserver jusqu’au jour du grand départ en refusant de voir des photos de l’île sur Internet par exemple.
Il nous a été assez simple dans un second temps d’exposer les conditions de vie sur l’île – à savoir : une place réservée sur le camping municipal, en tente, la cuisine à faire soi-même au feu de bois, des sanitaires « pas tout proches », des difficultés certaines pour recharger les batteries des téléphones portables et autres objets numériques, des trajets quotidiens à pieds ou à vélo, les voitures étant interdites sur l’île, la possibilité de ne pas bénéficier d’un climat estival (Bretagne oblige… !) etc. Les jeunes sont très vite partis du principe que cela faisait « partie du jeu » et ont évoqué avec enthousiasme des notions telles que « solidarité » et « partage des tâches ».
Sur les 14 adolescents partant pour vivre cette expérience, des petits groupes ont émergés pour faire face à l’organisation du quotidien : les cuisiniers, les responsables des courses et les responsables du matériel. Certains ce sont également inscrits aux activités proposées par les Albatros, le club nautique de l’île (plongée, voile, canoë). Nous avons tenu à ce qu’ils ne soient pas plus de trois par activité afin qu’ils puissent s’affranchir d’emblée de l’étiquette « groupe de jeunes de foyer » et qu’ils se confrontent à des gens qu’ils ne connaissent pas, vacanciers ou membres du club, autour d’une discipline commune.
La réussite de ce séjour a été marquée par des temps forts :
- La visite en bateau des 7 îles s’est faite sous la pluie avec une halte sur l’île aux moines où Denis le Bras a raconté l’histoire des phares pendant une heure face à la mer et à nos adolescents trempés, sans qu’aucun ne manifestent de l’impatience devant ce passionné de la mer.
- Des rencontres avec les habitants de l’île, des jeux avec les enfants des familles du camping.
- Des soirées tardives au coin du barbecue, des discussions animées, des levers à l’aube et des baignades dans une mer à 15 degrés…
- Des kilomètres parcourus avec les petites carrioles pour transporter les courses…
- Et la fierté des adolescents d’avoir fait quelque chose d’exceptionnel
Dans une société du sur-mesure, du « séjour organisé », de l’offre individualisée, où les principes philosophiques servant d’appuis aux êtres humains pour trouver une direction à donner à leur vie se sont réduits peu à peu à de pauvres slogans publicitaires, il semble à priori difficile de mobiliser un groupe d’adolescents autour d’un projet de voyage épuré, simple, dans lequel les jeunes vont être amenés à se positionner en tant qu’artisans des expériences qu’ils auront envie de vivre. La base de ce projet de voyage sur l’île de Bréhat est le constat de cette tendance à rendre le sujet passif, en attente et dans l’exigence d’une jouissance facile et immédiate, le privant de la satisfaction d’être moteur et acteur de la dynamique de ses loisirs et apprentissages.
L’argent, le confort et le « tout organisé-tout prévu » sont-ils nécessaires à la réussite d’un projet de vacances ? Quelles ressources mobiliser pour nous permettre de « passer du bon temps » ? Comment trouver son autonomie dans la réalisation de ses désirs ? et quels bienfaits insoupçonnés celle-ci peut-elle nous amener à découvrir ? Ce sont ces questions auxquelles Philippe Blay, Educateur à l’Abbaye, instigateur du projet, a voulu confronter nos jeunes.
Tout a été pensé pour inscrire le groupe dans un séjour peu cher qui va nécessiter pour qu’il s’étoffe que les adolescents parviennent à puiser dans leurs richesses individuelles et collectives. Nous sommes partis de l’idée que pour favoriser l’engagement d’un groupe au sein d’un tel projet il nous fallait effectuer un travail de réflexion sur l’avant, le pendant et l’après du voyage. Enfin, nous avons échangé avec les adolescents sur l’ « après Voyage » : à notre retour, comment transmettre quelque chose de ce que nous aurons vécu à ceux qui ne sont pas partis ? A nouveau, les idées ont fusé : un clip, un montage photos, un carnet de voyage… Nous verrons bien sur place en fonction de ce qui se présente mais nous gardons cette idée de restitution en tête. Ainsi le Voyage était balisé, les jeunes, partie prenante du projet et de ce qu’il impliquait.
Véronique Guegan, directrice Adjointe
Marion Faucheux, éducatrice Spécialisée