Déborah Ferrand, parachutiste et membre de l’équipe de France saute sur La Passerelle et rencontre les jeunes accueillis dans ce foyer éducatif de Marolles-en-Hurepoix. Nadia Bouvier, éducatrice spécialisée, fait le récit de cette rencontre.
 
Débrancher mon cerveau après une journée de travail et m’effondrer sans remords sur mon canapé devant une émission, impossible ! Depuis les causeries, mon bloc-notes et mon crayon ne me quittent plus. C’est ainsi que je découvre pour la première fois Déborah Ferrand, sportive de haut niveau et membre de l’équipe de France de parachutisme dans la double discipline précision d’atterrissage et voltige. Ce soir-là, plusieurs femmes d’exceptions l’entourent, mais ce seront ses échanges avec la présentatrice qui retiendront mon attention. Déborah aborde avec sincérité différents pans de son histoire. Sa personnalité, sa combativité, son caractère et son parcours de vie sont inspirants. Je fais des parallèles avec nos jeunes, qui fragilisés par leur histoire de vie ne trouvent pas forcément la force de dépasser leurs épreuves pour s’accomplir.
Après plusieurs jours d’écritures, de ratures et de relecture, je trouve le courage d’envoyer mon mail. Va-t-elle prendre le temps de me lire jusqu’au bout ? Le projet va-t-il faire sens pour elle ? Ai-je su lui donner envie ? A-t-elle le temps ? Va-t-elle accepter ?… Puis un matin… à ma grande surprise, un mail ; une réponse simple et énergique, ponctuée d’humour et d’anecdotes. Nous échangeons quelques messages. Déborah se montre confiante et pleine d’assurance. Elle propose de rencontrer nos jeunes le 15 mai 2019, soit quelques jours après notre prise de contact et quelques heures avant son vol pour la coupe du monde en Argentine.

Cette rencontre n’aura rien de commun avec les précédentes. Imprévu, nouveauté et improvisation seront à l’honneur : impossible de trouver un temps pour préparer ces causeries, nous disposons de dix jours pour faire émerger la curiosité des jeunes. Déborah s’est organisée pour venir seule aux causeries. Elle paraît si confiante que j’en oublie dans nos derniers échanges de la convier plus tôt. Heureusement, « imprudence » n’est pas de mise. Nous convenons de nous retrouver 30 min avant la rencontre pour nous présenter sereinement, échanger sur le sens du projet et le déroulé de ce temps de partage.

Je découvre Déborah pour la première fois ce mercredi. Elle est décontractée, souriante et porte un tee-shirt bleu faisant ressortir la couleur de ses yeux sur lequel je peux lire « Bonjour, une belle journée commence ». Fait exprès ? Hasard ? Inconscient ? Je ne sais pas ! Déborah me met rapidement à l’aise et demande à ce que nous nous tutoyions. Nous nous installons sur un des bancs à l’entrée et profitons du beau temps pour faire connaissance en toute sérénité. Déborah a eu une journée bien chargée. Elle a profité de son passage en île de France pour rendre visite à Monique Pelletier (précédente médaillée d’or aux championnats du monde de parachutisme en 1960), puis elle s’est rendue à la caserne de Villacoublay pour ensuite finir sa journée avec nous. Un vrai marathon ! Nous échangeons sur l’émission où je l’avais vue, sur mon envie de faire partager sa discipline et son parcours professionnel, à nos jeunes filles et garçons. La rencontre est source de richesse.

À son tour, Déborah s’intéresse à nos jeunes, au travail que nous menons avec eux, à l’accueil que nous leur proposons et au sens de notre projet de causeries. Elle a grandi dans le département de l’Essonne et a fait ses études à quelques kilomètres d’ici, Viry-Châtillon puis Évry. Elle n’avait jamais pensé qu’un tel cadre d’hébergement était possible pour des jeunes en difficultés. Elle me confie que cette rencontre est une première pour elle. Elle n’a jamais parlé d’elle devant un groupe d’adolescents. Elle ne sait pas si son parcours va les intéresser, ni comment susciter leur intérêt. À ce moment-là, je repense à Sonia et à ses appréhensions. Les mêmes, au même moment. La rencontre est un bouleversement qui désoriente les sens, les émotions et les habitudes. En prenant ce risque, Déborah prend le risque de plaire et/ou de déplaire. Je la rassure, les jeunes viennent pour faire sa connaissance. Ils viennent l’écouter et discuter avec elle sans attente ni réponse particulière. Déborah a accepté notre invitation, car elle souhaiterait transmettre un message aux jeunes : une situation familiale et des conditions de vie ne déterminent en aucun cas l’avenir d’une personne. Elle a su s’émanciper de ses maigres conditions de vie et des dix-huit années d’absence de père dans son rôle parental. Déborah est une combattante. Elle donne envie de croire que tout est possible.

Les premiers jeunes s’approchent timidement de Déborah et la saluent. L’observation est réciproque. En entrant dans la salle, Déborah découvre le cercle de chaises. Elle se raidit un peu. Son sourire se crispe, ses gestes se durcissent et son attention est ailleurs. Elle reste à l’entrée comme si une force extérieure l’empêchait de prendre place. Un ultime échange entre nous et elle s’assoit sur l’une des dernières chaises. Déborah est une femme de caractère, mais face à l’inconnu elle reste humaine comme nous.
Elle débute l’échange en retraçant son parcours de vie, la séparation de ses parents, son enfance loin de son père, son enfance près des pistes de l’aéroport d’Orly, son parcours scolaire et ses difficultés, son profond désir de devenir pilote d’avion et de voler, l’échec de ce projet, son engagement dans l’armée comme fusiliers commandos, sa passion pour le saut en parachute et sa discipline sportive de haut niveau. Elle explique avec sincérité les sentiments qui l’ont traversé lorsqu’elle a échoué aux concours de l’armée de l’air. Elle établit le lien entre son niveau scolaire et le niveau nécessaire pour réussir ce concours. Son rêve de voler cessait brutalement et pourtant, ce jour-là, elle n’avait pas conscience que tout ceci n’était que le début d’une grande aventure. Le saut est vite devenu sa passion et aujourd’hui Déborah s’y consacre entièrement comme athlète de haut niveau. Les jeunes l’écoutent. Ils sont sur la réserve et n’osent pas l’interrompre. Valérie, une collègue se permet de l’interroger sur son palmarès : double championne du monde en 2018 et plus de 120 podiums nationaux et internationaux. Cette notoriété éveille l’intérêt des jeunes. Ils se redressent, lèvent les yeux et osent prendre la parole. « Combien de temps dure une chute ? », « est-ce qu’il arrive que le parachute ne s’ouvre pas ? », « que faut-il faire pour être parachutiste de haut niveau ? », « est-ce que l’on crie lorsque l’on saute », « vous teniez une arme ? »… Déborah prend le temps de répondre à chacune des questions. Le désir des jeunes s’articule au désir de Déborah. Chacun se découvre et une histoire commune se partage. À cet instant, la rencontre prend vie.
 
Elle est passionnée et passionnante. Elle évoque la compétition entre les athlètes et les valeurs du sport (tolérance, respect, honnêteté, courage et honneur). Les conflits politiques n’ont pas leur place entre les concurrents. Chacun veille à l’autre. Son expérience de vie lui a permis d’étendre ses connaissances et de combler certaines lacunes scolaires. Elle parle couramment anglais, maîtrise d’autres langues et appréhende les différents phénomènes atmosphériques. Son témoignage est rempli de force, d’entrain et de volonté. Les filles s’identifient rapidement à Déborah. Elles prennent une place active dans l’échange. Elles l’interrogent, l’interrompent et discutent entre elles. À l’issue de la rencontre, nous avons fait une photo de groupe. Les filles en admiration ont naturellement entouré Déborah. Les garçons, quant à eux, se sont montrés timides. Impressionnés ? Troublés ? Décontenancés ? Impossible de décrypter leur sentiment à ce moment-là.
Les causeries se sont poursuivies en aparté avec Déborah. Les jeunes se sont approprié cet espace de parole loin du regard de l’autre. Je pouvais observer de la pudeur et un respect mutuel. Ce soir-là, ils étaient tous prêts à sauter dans le vide sans crainte ni appréhension. La rencontre a été porteuse de force et d’ardeur. Au moment de nous quitter, une jeune fille parle de son intérêt pour la culture coréenne. Déborah évoque des anecdotes concernant les athlètes de ce pays. Il y a une réelle bienveillance entre les concurrents. En partant, elle prend le temps de lui dire au revoir en coréen. Cette singulière attention émeut la jeune fille. La rencontre est magique. Elle est inexplicable, renversante et fantastique !
 
Nadia Bouvier, éducatrice Spécialisée, La Passerelle